L'Affaire Bellounis et la Première Guerre Civile Algérienne

(1957-1960)

L'un des épisodes les plus sombres et les moins racontés de la révolution algérienne

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I-7- La Fin du "Général en Chef"

     Après tout juste une année d’intermède, Bellounis et ses hommes retrouvaient donc leurs anciennes conditions de « fellaga » ». Avec de notables différences, il est vrai : disposant d’une centaine de combattants en mai 1957, Si Mohamed commende en mai 1958 plus de 7000 hommes, compte tenu de la défection de Meftha ; les fusils de chasse remplacés par un armement moderne et efficace ; les réseaux civils se sont développés dans d’appréciables proportions ; l’argent ne manque pas encore. En bref de très bons atouts !
Mais il faut voir l’envers de la médaille.

Les 7000 bellounisistes ne sont pas d’égale qualité. Il y a des anciens djounouds, ceux qui combattent depuis près de 4 ans. Ils ont déjà lutté contre l’armée française avec de vieux fusils et désormais bien armés, ils sont prêts à tout ; pour le reste, ils font confiance en leurs officiers comme de coutume. En second lieu viennent tous les volontaires qui ont rejoint les rangs de l’ANPA pendant la trêve : aucun d’eux ne s’est encore heurté aux Français et leur expérience se limite à la chasse et au combat contre le FLN. Très nombreux sont courageux et ne demandent qu’à se faire valoir. Mais en général très jeunes, ils ne peuvent se défendre d’une certaine nervosité en face de cette nouvelle situation et craignent surtout l’aviation qu’ils ont parfois vu en action contre les frontistes. Cependant, dans la mesure où ils sont épaulés par les « anciens » que peut de choses peuvent troubler, ils sont sûrs. Le danger sur ce point pour l’ANPA provient plutôt des soldats recrutés plus ou moins de force par Bellounis ; ces hommes sont le souci constant des officiers qui doivent veiller à ce qu’ils soient en permanence bien encadrés, car si certains d’entre eux se sont très bien adaptés, il est toujours à craindre que les autres qui n’ont pas le feu sacré fuient le combat.
Cet état de fait n’était toutefois pas en mesure de compromettre sérieusement les chances de Bellounis. Le « hic » restait surtout les dissensions intestines qui secouaient l’armée algérienne.

Peut être est il trop facile de juger à postériori. Mais il nous semble surprenant que Si Mohamed qui se trouvait tout de même dans une situation assez critique du fait de la rupture de la trêve n’ait pas voulu nouer la conciliation. Bien au contraire, il vit, dans l’emploi de la force intransigeante, un moyen de renforcer son prestige et son autorité. Devant cette attitude, plusieurs officiers, partisans du programme Meftha, rejoignirent ce dernier dans la région de Boukhil Ouled Djellal. Il restait bien sûr de nombreux gradés toujours fidèles aux ordres de leur général.
Bellounis pris alors une décision grave : il ordonna parmi les unités qui lui restaient en mains une épuration systématique. Ceux qui, à un moment de leur vie ont été combattants « irréguliers » ont peut être une notion de ce qu’est une épuration dans un maquis. En général, les formalités de justice sont assez réduites. La presse en a relaté quelques exemples, comme celui d’Afkadou, travail accompli il est vrai par un maître en la matière, Amirouche.
Sans être particulièrement forcenée, la répression du chef de l’ANPA ne fut pas pour autant bénigne. Nombre d’hommes payèrent de leur vie leur amitié trop prononcée avec les « rebelles ». Il serait exagéré de parler de cette occasion de mécontentement ouvert parmi les troupes ; mais il y régnait du moins un certain état de tension et à cette époque on ne comptait pas ceux qui en permanence avaient une cartouche engagée dans le canon de leur arme, prêt à toutes éventualités.
Il y eut quelques cas où des petits groupes d’une dizaine, voire vingt combattants disparurent avec armes et bagage, préférant la fuite à une balle dans la tête.

Le mois de juin passa sans améliorer cette situation. Un tiers environ des effectifs avait alors rejoint Meftha. Avec le reste, Bellounis tentait tant bien que mal de tenir les différents secteurs bien que ne pouvant disposer d’une bonne moitié de ses troupes chargées de neutraliser Meftha et ses hommes. La tâche du général devenait donc difficile, d’autant plus que l’armée française de don côté ne restait pas inactive. Dans la région de Bou-Saâda, Paule Gazelle, de Djelfa, etc, les heurts étaient presque quotidiens.
Le « général en chef » pour sa part, revenant à la vieille tactique du maquis qui lui avait bien réussi, se déplaçait, accompagnée d’une faible escorte de gardes du corps fidèles à toutes épreuves, à l’intérieur de sa zone et plus particulièrement entre Djelfa et Bou-Saâda. C’est à cette époque que les responsables frontistes de la Wilaya IV (Palestro, Gorges de la Chiffa) lui aurait envoyé des émissaires afin de lui proposer la paix. Bellounis se serait contenté de les écouter et les aurait laissé repartir. Ce fait dénoterait d’une importante évolution du général, car il fut un temps ou les FLN n’auraient gagné que leur mort à faire un tel voyage.

Mais il est inutile d’épiloguer sur les intentions de Bellounis qu’il ai songé à parachever ses manœuvres par un « renversement d’alliances » (difficile, sinon impossible à faire admettre à la grande majorité des hommes) ou qu’il ai simplement agit en tacticien, il n’eut en aucun cas le temps de mettre ses projets en exécution. Le 23 juillet 1958, en effet, une unité de l’armée française qui ratissait la partie nord-est de l’immense douar Ouled Ameur le surprit dans un groupe de tentes. Un soldat l’abattit alors qu’habillé en civil, il tentait de s’échapper en poussant devant lui un troupeau de chameaux. Pendant toute une semaine, son corps, placé sur la plate forme d’un camion fut exposé dans les marchés des environs.
Bellounis fut il dénoncé comme le bruit en courut ? C’est possible, mais il est également possible que les militaires français aient eu beaucoup de chance. De tels points restent toujours obscurs. Quoiqu’il en soit, la mort du chef de l’ANPA fut fêtée par le commandement français, revendiquée par le FLN et déplorée par le MNA qui dans une déclaration publique, honora la mémoire du combattant au champ d’honneur.
Le chef mort, qu’advient-il de l’Armée Nationale du Peuple Algérien ? Peu d’officiers ont suffisamment d’autorité pour espérer relever cette succession. Le capitaine Meftha sans doute, mail il est déjà « dissident ». Le commandant Latreche aurait pu aussi briguer le poste avec succès, mais il est mort, victime de l’épuration récente.

Aux autres gradés, le chois est entre trois positions : jonction (ou si l’on veut soumission) avec Meftha ; paix avec le FLN ; ralliement aux troupes françaises. Chacun d’eux suit son inclination personnelle. A notre connaissance (mais sous toutes réserves, car provenant d’information non contrôlées) les ralliements à l’armée française n’auraient pas été très importants. Se seraient rendus le commandant Larbi le Kabyle, le lieutenant El Barradi, le sous lieutenant Mokri et quelques uns encore. A noter que cette position est souvent prise à titre personnel, c'est-à-dire que peut d’hommes ont suivi ces officiers.  Il est probable que la grosse part des troupes s’est unie au capitaine Meftha. N’écartons pas non plus l’hypothèse de petites unités restant indépendantes.
Un an après ces évènements, la situation a sans doute évolué. Les points de repères suivants pourront aider qui désira en faire l’analyse :

1° L’éclatement de l’ANPA telle qu’elle se présentait sous le commandement de Bellounis est un fait acquis :
2° Le FNL a désormais pénétré dans l’ex zone ANPA. Des accrochages s’y sont produits qui le prouvent ;
3° L’ex-capitaine Meftha est toujours adversaire du Front et partant, continue sans doute à combattre au nom du MNA. Un document trouvé sur le cadavre du secrétaire d’Amirouche et qui reproduisait les entretiens Amirouche-El Haouas le 26 et 27 mars 1957 (avant-veille du combat qui causa la mort de deux colonels) fait mention des « traitres envoyés par Maftha ».

De ce développement d’une année, il y a un autre chapitre de l’insurrection algérienne à écrire. Mais ce n’est pas notre propos quine veut que relater l’histoire du général « fellaga » Si Mohamed Bellounis. La chronique de ses faits et gestes est terminée. Nous n’irons pas plus loin. L’affaire Bellounis est close ; l’affaire algérienne reste en débats.

 

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